J’pouvons tout dire en noût’ patoès !

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J’pouvons tout dire en noût’ patoès !

En 1972, Emile Joulain relatait dans sa rubrique de l'Anjou Agricole "On s’cause … en patoës" nos échanges sur ce patois angevin qui nous passionnait. Nous avions à coeur de transmettre et honorer cet ancien parler angevin.

Ein gâs « comm’ça » : Henri Jubeau, dit « Fourchafoin »

«Comme ça !» oui ! Vous connaissez le geste, qui est compris dans tous les pays du monde : on ferme le poing, le pouce en l’air, on donne un coup de poignet ! ça veut dire : «Un gâs qui en a !»

Il s’appelle Henri Jubeau ; il a (paradoxe dans sa goule réjouie de bon Angevin), des yeux profonds de rêveur un peu triste, plutôt tournés vers la mélancolie. Les premiers essais poétiques qu’il m’envoya, dont j’ai publié quelques-uns ici même, il y a déjà pas mal d’années et que garde précieusement dans mes dossiers, reflétaient bien cette sentimentalité, cette tendance à la nostalgie, et cela n’était pas pour me déplaire, bien au contraire. Il se cherchait, comme nous tous, les poètes. Il y avait beaucoup à élaguer. Et puis il s’est décanté, simplifié. Je l’entendis, il y a quelques années, dire lui-même (très bien) ses « rimiaux » dans les jardins du château de Baugé, et je l’encourageai de plus en plus.

Bien souvent, depuis trente ans, on m’envoie ainsi, en français ou en patois, des « essais » poétiques : il y en a, bien souvent aussi, d’inexistants, et qui découragent la plus totale indulgence ; en d’autres, il y a cette petite mèche qui fume encore (ou déjà) et qu’il serait dommage d’éteindre ; alors on souffle dessus, précautionneusement, pour la raviver ; enfin, dans certains, les plus rares,on sent le don, le souffle poétique, et on marque ce jour d’une pierre blanche. Le jour où j’ai croisé Henri Jubeau sur la route où vagabonde la Poésie est de ceux-là.

* * *

La dernière fois où je le rencontrai fut à cette soirée du samedi 27 novembre dernier dont on a pu lire mon compte rendu dans la Presse et où les nombreux amis et admirateurs d’Henri et Renée Beldent, les prestigieux fondateurs et animateurs de la Compagnie folklorique Marc Leclerc faisaient leurs adieux à ceux-ci, qui s’en vont, à notre grand regret, planter les choux de leur retraite au pied des sapins des Landes. Ce soir-là, bien entendu, à la « Taverne aux Poètes » dans l’antique Doutre d’Angers, chacun y alla de sa chanson ou de son poème, entre autres notre ami Jubeau, dit « Fourchafoin ». (C’est le pseudonyme rustique coloré qu’il s’est donné). Je lui dis mon plaisir de l’avoir entendu et il m’écrivait gentiment, le 3 janvier :

« En souvenir de cette magnifique soirée organisée par la « Taverne aux Poètes » en l’honneur de M . et Mme Beldent qui doivent quitter bientôt l’Anjou, je vous envoie le « rimiau » que j’ai récité à cette occasion, pour la première fois : « Le P’tit Anjou ».

Ce fut une joie, au cours de cette soirée, de vous entendre redire vos plus beaux poèmes et ceux de votre maître Marc Leclerc, jamais oublié, ainsi que l’évocation de 40 ans de folklore vus à travers la vie de M. et Mme Beldent, la Compagnie Marc Leclerc, Félix Landreau, Charles Antoine et vous-même.

A cette soirée, j’ai pu apporter mon grain de sel (un bien petit sans doute ! : « Le P’tit Anjou ». J’ai écrit ce rimiau cet été, au mois d’août, à la campagne, au bord du Cher, me rappelant quelques souvenirs personnels sur ce bon train d’autrefois et des anecdotes recueillies de bouches d’amis.

Je compte écrire d’autres rimiaux, transmettre mes pensées (si cela se peut), dans ce langage simple et populaire qui reste compris d’un grand nombre de personnes.

Soyez assuré, Monsieur Joulain, de ma fidélité au patois et au folklore de l’Anjou… »

* * *

Là-dessus, je dis à « Fouchafoin » mon intention d’insérer son rimiau inédit ici-même, à la suite d’une de mes chroniques, et il m’écrivait à nouveau, le 9 janvier dernier :

« … Très heureux – je ne saurais l’être davantage – de l’accueil que vous avez bien voulu réserver à mon rimiau : « Le P’tit Anjou », je vous donne, bien sûr, toutes permissions de le publier dans l’Anjou Agricole » et vous en remercie.

Je ne suis plus abonné à ce journal ; je vais essayer, pour les lire, de me procurer les numéros de vos chroniques mensuelles en m’adressant au siège social.

Oui, notre parler garde une certaine audience, mais ce sont peut-être les personnes vivant dans de grosses agglomérations, où tout est tellement conditionné, qui, je le crois, apprécient le mieux la fraîcheur, la douceur de ce langage simple et populaire.

Le rural, lui, y est trop habitué et certains n’auraient-ils pas tendance à en avoir un peu honte ? Si, le dimanche venu, l’homme de la ville s’empresse de prendre sa voiture pour gagner la campagne, de même il a besoin de cette brise, ce bouquet de terroir que lui offrent le poète patoisant et le folklore de sa Province. Pour mes prochains rimiaux … mon rêve serait – sans perdre la note folklorique – de décrire des faits, transmettre des pensées, des façons de voir qui intéresseraient les gens d’aujourd’hui, qui seraient d’actualité si possible…

Très touché de l’amitié que vous avez bien voulu me témoigner, je reste, Monsieur Joulain, votre fidèle disciple. Henri JUBEAU dit « Gas Fourchafoin… »

* * *

Holà ! gâs Fourchafoin ! Cette maîtrise que vous me décernez, j’avoue que j’en suis heureux et fier… et aussi qu’elle m’effraie un peu ! Mais tant pis ! sans fausse modestie « (qui est le propre des sots » disait le « Prince des Poètes » Xavier Privas) cette maîtrise, je l’accepte. Oeuvrons donc ensemble, frère Fourchafoin, pour notre vieux parler angevin.

Que nous font l’incompréhension ou les sarcasmes ou les airs dégoûtés de ceux qui « n’y connaissent ren » comme disait Marc Leclerc ou qui ne savent pas « s’ment d’qué qu’i’s veulent causer ! », comme je l’ai écrit dans « J’pouvons tout dire en noût’ patoès ! » Oui, que nous importe, vieux frère ?

Il ne me faudrait pas chercher bien loin, ni bien longtemps, dans l’épais dossier que depuis trente ans je constitue, pour extraire et présenter du patois angevin les lettres de noblesse.

Nous aussi, comme cet autre maître et ami qu’est pour moi René Rabault, mettons noir sur blanc nos « Croquis de Mémoire » et qu’entre autres roule dans la nôtre le « P’tit Anjou » dans ce rimiau du gâs « Fourchafoin » par les vieux rails désaffectés et rouillés… Comme les voitures à chevaux par les vieilles routes empoussiérées du souvenir …

Mazé, 22 janvier 1972

Emile JOULAIN

J’pouvons tout dire en noût’ patoès !

Publié dans Patois et Patrimoine

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