Sylvain Roc
C'est à l'orphelinat d'Angers, lors de séances récréatives, que j'ai entendu le patoiseur Sylvain Roc conter ses propres oeuvres, ses "récits campagnards", récits d'une grande finesse; ainsi que les rimiaux de Marc Leclerc.
C'était un diseur de grande renommée. Il avait du succès.
La découverte de ce patois rimé fut magique.
Ce patois me rappelait, enjolivait, soulignait à gros traits ce que j'avais entendu, par bribes, plus ou moins parler autour de moi, surtout dans ma petite enfance.
Ce n'était encore qu'une petite étincelle, j'étais un enfant, mais plus tard, petit à petit, allait naître une passion pour cet art patoisant et pour la poésie populaire.
Je vous livre ici un article du Courrier de l'Ouest datant du 26 avril 1960 qui rend hommage à Sylvain Roc 1 an après son décès :
"Il y aura un an, le 3 mai, disparaissait en son logis de la rue Chaussée - St - Pierre, à Angers, là où sa veuve et sa fille continuent à vivre dans le culte du disparu, M. Roussel, dit Sylvain Roc qui, dans son genre, a été un grand artiste.
Le jeune Roussel était marqué pour tenir, au théâtre, le difficile emploi de paysan : tout jeune, il s'était taillé de gros succès dans les comédies d'Eugène Labiche. Un peu plus tard, au sortir de l'adolescence, il se fit remarquer dans le rôle du "père Rousset", de "Blanchette", et dans celui du "père Baudruc", du "Mariage d'Argent", qu'il interpréta avec un naturel surprenant. Il n'est pas exagéré de dire que ces deux emplois-là établirent sa réputation et lui firent comprendre sa voie véritable.
Sylvain Roc était né : il prit la plume et composa des récits campagnards convenant parfaitement à son tempérament artistique. A ses débuts, comme monologuiste, il interpréta du Marc Leclerc. Les deux hommes avaient l'un pour l'autre une grande estime; mais le patoiseur Sylvain Roc, poète du terroir, devait bientôt voler de ses propres ailes et composer ses propres contes.
Il était né à Angers, le 13 mars 1876; il eut, par la suite, selon ses professeurs du Lycée, le don de la diction; mais ses parents ne tenaient pas du tout à ce que leur garçon fasse du théâtre; par amour filial, il s'inclina. C'est pourquoi Sylvain Roc, fonctionnaire de profession ne fut, au point de vue artistique, qu'un semi-professionnel.
Les Tournées Sylvain Roc
Energique, d'une santé parfaite, M. Roussel devait mener de front ses deux métiers : chiffrant et faisant des rapports le jour, affrontant la scène la nuit.
On lui doit même, entre les deux guerres, une tournée théâtrale qui portait son nom et dont les Angevins, vivant à cette époque, se souviendront des artistes, dont quelques uns sont décédés. Ils composaient une petite troupe, qui remporta à Angers, dans toutes les cités de Maine-et-Loire et dans tous les départements limitrophes, un succès de bon aloi : il y avait Mlle Maillard, chanteuse d'opéra-comique et d'opérette; M. Delêtre, baryton, le chanteur Doussin; Marcou, qui connut lui aussi son heure de célébrité; le fantaisiste Léo Gabrielli; Béam, plein de rondeur; le comique-grime Sylvus; Fradenn, l'hilarant troupier; de bons solistes, violonistes, violoncellistes, pianistes et parmi les attractions de "variétés" le mystérieux Osaki, l'homme aux mille trucs, qui garde à la mémoire de Sylvain Roc un souvenir attendri, que le cours des ans n'a pas attaqué. Une société artistique : "Angers-Comédie", dont les chefs de file étaient à cette époque Henriette Bicard-Cahen et Louis-Ch. Morin, et plus tard Charles Michel, suivait le maître patoiseur en ses déplacements.
Un poète patoisant
A Paris, Sylvain Roc ne devait pas tarder à se faire connaître; il devait jouer, la plupart du temps, au cours de soirée de bienfaisance, aux côtés d'artistes de la Comédie-Française, de l'Opéra-Comique, de l'Odéon, du théâtre Sarah-Bernhardt et des Concerts Colonne. Tous étaient conquis par le savoureux accent paysan et les artistes s'amusaient autant que les spectateurs. C'est ainsi que Sylvain Roc devait compter au nombre de ses amis : Georges Thill, Mme Dussanne, Mme Lherbay, Paul Décard, de naissance angevine, lui aussi; M. et Mme Depas, un couple d'excellents comédiens, tombés dans l'oubli maintenant et, encore parmi les représentants du bel-canto, M. Audouin, l'un de nos concitoyens; M. Saïman; Mlles Perelli et Lucy Vautrin. Toutes et tous suppliaient Sylvain Roc de devenir professionnel. Il refusa toujours ...la promesse faite à ses parents. D'autre part, s'étant marié depuis à une charmante Angevine, le ménage avait une petite fille qui était toute sa joie. Et puis, il faut bien reconnaître que le métier d'artiste, même "d'artiste arrivé", n'est pas toujours rose...
Sylvain Roc était demandé un peu partout; il connut son "époque" et on l'applaudissait non seulement comme patoiseur, mais on lui demandait ses oeuvres : "On sert à boire et à manger", "Chez les Villotiers", "Les Vieux d'chez nous", "Le Pied d'Rameau", "Symphonie Pastorale", "Sous ma tonnelle", "Dans l'train", "Le j'teu d'sorts" (l'un de ses grands succès), "V'la l'facteur", "Noël campagnard", "Le r'tour au village", "Rev'nant par le ch'min creux", "La fouère de la Saint-Gilles", "La berouette a parlé", tant et tant d'autres...
Le barde angevin, lauréat des Jeux floraux de Touraine, avait reçu la rosette d'Officier de l'Instruction publique; c'était un homme de grand coeur, toujours prêt à rendre service à son prochain.
Un pénible accident devait abréger les jours de l'artiste. Habitant au quatrième étage de cette grande maison de la rue Chaussée-Saint-Pierre, il tomba un soir dans son escalier et se brisa le col du fémur, accident très douloureux qui devait le retenir longtemps immobilisé, lui, si actif, à l'allure si vive, si preste. Il eut jusqu'à ses derniers moments les soins constants de Mme et Mlle Roussel, admirables de dévouement : sa femme et sa fille qu'il aimait tant.
Et pour ce premier anniversaire de sa mort, qui pourrait faire revivre un peu la figure de ce chantre patoisant disparu et qui écrivait encore quelques pièces de vers, peu avant son décès ?
Sylvain Roc n'a jamais enregistré ses petites pièces de vers; dommage, le disque nous aurait restitué sa voix et sa façon de dire paysanne, n'appartenant qu'à lui.
Sylvain Roc n'a même jamais été édité. Quel mécène pourrait faire relier les écrits de celui qui donna, bénévolement, tant de soirées de bienfaisance au profit des déshérités de ce monde ?"
R. M.
Courrier de l'Ouest du 26 avril 1960