Patois et langue française

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Patois et langue française

Je laisse à nouveau la parole à Emile Joulain, qui écrivait en 1957, dans sa rubrique "On s'cause en patoës" :

J'espère avoir prouvé que le patois n'est pas une caricature de la langue nationale, le français vu dans un miroir déformant; mais bien le vieux parler authentique de nos provinces, et Marc Leclerc qui fait autorité en la matière disait qu'on retrouvait dans Rabelais, à l'état pur, de vieux mots angevins ou tourangeaux encore utilisés de nos jours.

Mais jusqu'à cette époque de la Renaissance où la langue française était déjà arrivée à une étape quasi définitive de son évolution (relisez un sonnet de Ronsard ou de notre Du Bellay), par quels avatars était-elle passée, et avec elle, les patois ?

Je ne voudrais point faire le pédant, mais je suis obligé d'indiquer brièvement ici, pour ceux que le sujet intéresse, les principaux chapitres de ce roman d'une langue, et, conjointement, de ses frères inférieurs, les patois.

Première époque : Unité italo-celtique; "la moitié de l'Europe, au moins, entre cent et cent cinquante ans avant notre ère, parlait le gaulois", écrit Camille Jullian. C'est cette unité dont les anciens ont conservé un vague souvenir en parlant des "temps ligures", qui embrassaient tout l'Occident.

La seconde étape connue de la langue fut la romanisation de la Gaule : la langue du conquérant, le latin, se mêla au gaulois. La substitution du latin au celtique fut lente : il est probable qu'elle fut achevée au 6ème siècle. Avant de disparaitre, le gaulois avait probablement formé, par combinaison avec le latin, des parlers mixtes. Ce sont ces parlers gallo-romains que les écrivains citent sous le nom de gaulois (Albert Dauzat).

Je m'arrête pour aujourd'hui, dans mon étude, à cette troisième époque : la féodalité, où vont se former les dialectes, et par voie de conséquence, les patois.

Le grand écrivain Guy Gillet imagine, dans son livre "Paris", la capitale que nous connaissons réduite à son embryon : un village dans l'île. C'est ainsi que, pour ma part, je vois notre langue, maintenant torrent d'images, en ce temps-là ruisselet cherchant sa voie souterraine dans les racines des chênes druidiques pavoisés de gui.

Nous sommes encore loin même des balbutiements de notre littérature : "La Chanson de Roland", le premier poème en langue française, est de 1120 !

Comme l'écrit Louis Gillet de Paris : la langue "n'est pas encore, n'existe que dans un songe, une virtualité latente au fond des grandes forêts qui couvent le secret de l'avenir." Mais déjà elle est en germe, en notre Anjou même, dans ces mots de tous les jours qu'échangent entre eux les hommes de la bêche, et aussi les bateliers de cette Loire qui domine encore, aux Ponts-de-Cé, aujourd'hui comme autrefois, l'ombre trapue de Dumnacus.

Mazé, 27 avril 1957

Emile JOULAIN

Publié dans Patois et Patrimoine

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