Brouillard sur la vallée
En ce mois d'octobre doux et automnal, je laisse la parole à Emile Joulain.
Il y a un peu plus de 30 ans, dans un "Billet du paysan de la Loire", il évoquait la foire Saint-Gilles de Bauné.
Cette foire traditionnelle a toujours lieu chaque année après les vacances d'été
En ouvrant ma f'nête, à matin,
J'ai vu l'brouillard sû la Vallée.
Y'avait du résan plein l'jardin :
l'va côr fair' chaud d'mériennée...
C'est ainsi que débute l'un de mes "rimiaux", écrit par un douloureux automne de ma vie, et que je me redisais, ces matins-ci, en me rendant en "véloce" à mon poste de guide, au château de Mongeoffroy. "Déjà l'automne... et on n'a point eu d'été ! " disent nos gens de la terre, les mêmes dont parle Louis Hémon dans "Maria Chapdelaine", en évoquant "cette éternelle plainte du paysan, qui revient tous les ans, tous les ans : "Si seulement ç'avait été une année ordinaire !"
Et il est vrai que, tous ces matins, la Vallée n'est qu'un Océan de brume, qui recouvre au loin, au midi, les coteaux de l'autre bord, invisibles. Sont passées les grandes foires de septembre : la Saint-Gilles de Bauné, la Saint-Maurice de Brissac. Je ne suis pas allé, cette année, à la Saint-Gilles, pour la première fois depuis bien des années. Le matin du samedi 1er septembre, quand commencèrent à flamber, sur l'immense prairie de la route de Lué-en-Baugeois, les feux en plein air des charcutiers pour la cuisson des "rillauds" et le casse-croûte matinal. J'étais bien loin, à la frontière suisse où m'avait emmené, en voiture, à Villars, territoire de Belfort, mon ami et confrère André-Hubert Hérault, éditeur à Maulévrier, pour le congrès annuel de l'Association Nationale des Ecrivains Paysans. J'y ai retrouvé, bien sûr, avec joie mes amis (et amies), venus de tous les points de la Rose des Vents : Haute-Marne, Gers, Pyrénées, Allier, Paris, Bourgogne, Bretagne, Beauce, Champagne, Belgique, etc... chacun et chacune avec la marque, le label particulier de son tempérament et de son terroir.
Mais j'ai regretté "ma" Saint-Gilles : la fête populaire où l'on rencontre, à chaque pas, des amis, le repas de midi, sous les tentes bourrées de monde où l'on mange des rillauds chauds, avec un melon fruité comme entrée et un pâté aux prunes comme dessert, arrosé du vin du pays, bien franc de goût, et tout cela vous a des airs de kermesse flamande, à la Teniers ...
J'y suis allé, l'an dernier, deux fois dans la même journée... J'y ai soupé à l'auberge Saint-Gilles, accueillante comme sa patronne, qui m'avait invité, et je suis rentré très tard, sur mon vieux "véloce" dont la chaîne sautait ! ...
Fêtes de septembre, les dernières de la saison... Les feuilles sont encore vertes, les petits cyclamens, délicates ailes de papillons blancs et roses ont repoussé dans les allées du parc. Mais les premiers feux en pleins champs, les "feux d'harbes" dont je parle dans l'un de mes "rimiaux" montent à l'horizon de la Vallée ... Soirs d'automne dont on voudrait éterniser la douceur et devant ces journées lumineuses, mais pourtant mélancoliques comme toutes les belles choses, qui vont finir, je ne puis m'empêcher de me redire la grande plainte lamartinienne :
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé,
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ...
Emile Joulain, Septembre 1979